Une Tour Eiffel dressée au son d’un accordéon, un béret sur un mime et des boulangeries appétissantes ; ces quelques emblèmes introduisent efficacement le décor d’une scène parisienne dans un film d’animation, englobant au passage la France toute entière. Pratique boîte à outils de mise en scène, issue de l’imagerie de carte postale, Paris se réduit à quelques traits immédiatement reconnaissables dans des films qui ciblent le public familial du monde entier. C’est un Paris présentable et vu le plus souvent dans le rétroviseur, à savoir dans une période d’effervescence scientifique et artistique.
Paris et ses attributs n’est pas seul, l’Italie s’introduit par le Colisée, le Japon par la Tour de Tokyo et le mont Fuji et les Etats-Unis accueillent les spectateurs par la Statue de la Liberté…
Peu après la Tour Eiffel, l’introduction d’une scène parisienne fait difficilement l’économie d’un plan sur Notre-Dame de Paris. Cet emblème se retrouve ici ou là dans la quasi-totalité des films d’animations qui s’installent, même brièvement, à Paris.
Tandis qu’en ce 15 avril 2019, la cathédrale brûlait devant les yeux du monde entier, dont l’émotion traduisait l’admiration pour un chef d’œuvre d’architecture, c’est aussi le cliché touristique et un célèbre décor de cinéma d’animation qui partait en fumée. Dessiner Notre-Dame est un défi artistique pour les auteurs de films d’animation qui la reproduisent, tant ses ornements sont riches et sa structure complexe. La cathédrale s’est consumée d’abord par sa charpente en bois, structure invisible et inflammable sur laquelle tient une partie du bâtiment. Semblable au papier dessin, base sur laquelle s’érige un film d’animation, ce décor de dessins animés partait en fumée par sa matière première.
Si la cathédrale est une œuvre unique, toutes les images et les dessins sont quant à eux reproductibles à l’infini. L’occasion donc de visiter à nouveau Notre-Dame par le prisme de quelques scènes de films d’animation qui mettent en scène cet édifice en allant au-delà de l’aspect carte-postale.
RATATOUILLE, 2007, Brad Bird, Pixar
Notre-Dame : Complice du chef Gustau.
Discrète comme un rat caché dans une toque, Notre-Dame n’apparaît que brièvement dans ce huitième long-métrage de Pixar. La première fois, pendant la course poursuite entre Rémy le rat et Skinner (1). Testament de Gustau entre les dents, le rat parvient à échapper au méchant qui se retrouve en scooter sur les quais de Seine. Tandis que Skinner est en contre-bas, Rémy est en haut du muret. Les plans marquent un classique rapport de pouvoir illustré par l’axe plongée, contreplongée. Floue et en arrière-plan, la cathédrale assiste au triomphe de Rémy en apparaissant derrière lui. Non contraints par les mêmes impératifs d’optiques que les caméras, les plans des films d’animations peuvent se passer du flou. Toutefois, ils l’utilisent parfois dans un souci de réalisme – ou plutôt pour faire comme en prise de vue réelle. Ratatouille joue subtilement avec l’arrière-plan et le flou pour mettre en scène Notre-Dame. Rémy est devant la cathédrale, comme si elle se plaçait de son côté. Semblable au fantôme de Gustau, elle soutient discrètement Rémy dans sa quête de vérité. Marque du passé par les siècles traversés, rien ne lui échappe et certainement pas la descendance du grand chef disparu et d’anciens évènements comme son plan testamentaire. Elle est comme un témoin muet des choses du passé. D’ailleurs, lorsque le secret de Gustau fait la une des journaux sous les yeux agacés de Skinner, la cathédrale est visible. La nouvelle n’est pas fraîche pour tout le monde ! Visuellement, Notre-Dame est décalée par rapport au corps du méchant puisqu’elle ne tient pas à être de son côté (2).
Plus tard dans le film, Rémy se fait chasser de la cuisine par le jeune Alfredo Linguini. Déçu et triste, le rat s’éloigne du restaurant et se retourne une dernière fois pour regarder le restaurant et croiser le regard du chef Gustau qui trône sur le toit. Une précision géographique jusque-là ignorée est donnée : Notre-Dame est voisine du restaurant. Le rat s’en va mais le plan reste quelques secondes sur ces deux édifices. Le flou qui était au départ sur l’arrière-plan se fait sur le rat lorsque celui-ci se retourne. Le restaurant et Notre-Dame s’affichent ensemble et dans la même netteté. Cette nouvelle proximité lie à nouveau Gustau et Notre-Dame. L’image séparée en deux met le rat et le restaurant dans deux pôles différents, la cathédrale reste quant à elle du côté de Rémy. Elle est à nouveau un soutien discret (3).
D’autant que ce plan sera repris à la fin du film : Rémy quitte le restaurant après avoir réussi à se faire accepter comme chef en cuisinant la fameuse ratatouille pour Anton Ego, dont la critique se fait entendre en voix-off. Les deux bâtiments et le regard de Gustau n’ont pas bougé. Immuables, ils étaient certains du succès du rat. Si Rémy s’est éloigné de son désir de cuisiner et de Gustau, Notre-Dame de Paris est constamment restée avec le rat. Et cette complicité muette entre un chef et une cathédrale est-elle plus surprenante que celle d’un jeune garçon avec un rat cuisinier ?
UNE VIE DE CHAT, 2010, Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol, Studios Folimage
Notre-Dame : entre bien et mal.
Dans ce Paris nocturne où les voleurs, les brigands et les chats marchent sur les toits, la cathédrale Notre-Dame se laisse désirer pour n’apparaître véritablement que dans la scène finale et jouer son plus grand rôle. Le grand combat tant attendu opposant les gentils que sont Nico le cambrioleur, Zoé la petite fille, Dino le chat et Jeanne la policière au vilain Costa se déroule sur ses toits. La verticalité du film trouve un point d’orgue dans ce bâtiment qui est l’un des plus hauts sommets de la capitale et le climax de l’histoire.
Plus qu’un simple décor, Notre-Dame de Paris illustre à merveille les tensions narratives en cours. Le combat entre le bien et le mal se retrouve dans les ornements gothiques qui mêlent le vide et le plein, les ombres et les lumières (1). Les formes arrondies des arcs-boutants, des gargouilles, des vitraux et des portails s’accordent aux mouvements fluides et élastiques des personnages (2).
Surtout, le combat devient celui de l’enfer contre le paradis (3). La présence des statues, des chimères et des gargouilles l’illustre malicieusement. Logiquement, les animaux monstrueux et démoniaques sont du côté de Costa. Elles le soutiennent à l’image de cette chimère qui recueille, dans sa paume, le corps du criminel qui venait de tomber dans le vide.
Ce dernier, pour une fois reconnaissant et poli, remercie et embrasse la statue (4). Plus loin, c’est l’ombre du méchant qui se projette sur une gargouille (5). La monstruosité et la folie apparentes de ces créatures vont avec celles de Costa qui, peu de temps après, se transformera en un colosse. En effet, le rapport entre lui et les statues ne démarre pas sur le toit de Notre-Dame. Costa avait pour but de dérober une statue intitulée « le Colosse de Nairobi » qui n’est autre chose que la représentation même de sa mégalomane folie. Les gargouilles et les chimères sont les alliées de Costa. Elles se brisent lors de la chute de Nico comme si elles souhaitaient le voir s’écraser. Il sera alors rattrapé par un ange, symbolisée ici, en la personne de Jeanne. En effet, les statues d’anges et autres créatures aux ailes paradisiaques s’affichent le plus souvent auprès des gentils (6, 7).
Après la chute mortelle de Costa qui se jette dans le vide car emporté par sa folie, Zoé, Jeanne et Nico restent assis sur une grue à côté de la cathédrale. Cette fois-ci, c’est la façade Ouest avec les deux tours qui s’affiche. Jusqu’ici Notre-Dame n’était vu que par ses autres façades anguleuses et arrondies. Le retour à la normale, le rétablissement de l’ordre passe par la « façade harmonique » de la cathédrale : symétrique et linéaire (8). Mieux encore, le caractère tripartite (les deux tours et le centre plus petit) correspond à la position des personnages, avec la petite fille au milieu des deux adultes. C’est aussi un deuil qui vient de se faire et une nouvelle famille qui se reconstruit (9). Tout redevient harmonieux !
LE BOSSU DE NOTRE-DAME, 1996, Gary Trousdale et Kirk Wise, Studios Disney
Notre-Dame : un second château pour la Belle et la Bête !
Un château se détache sur un fond bleu. Le logo Disney précède le premier plan sur Notre-Dame de Paris dont la hauteur dépasse les nuages (1-2). Puis la caméra descend et le film peut démarrer. L’introduction du Bossu de Notre-Dame met clairement en parallèle le château de l’univers Disney et la cathédrale. Plus qu’une adaptation de Victor Hugo, Disney opère par absorption. Le roman se plie aux codes et aux standards de la firme et le film devient une variation autour de l’univers des contes féériques dans un Paris médiéval. Notre-Dame n’échappe pas à cette logique.*
Quasimodo est enfermé dans sa cathédrale, prisonnier comme le sont les princesses aux sommets de leurs donjons. Il est le prince déjà transformé en grenouille, il est la Bête isolée dans son château dont la laideur, son sortilège, est innée. Abusé par les mensonges d’un tuteur malintentionné, il trompe son ennui en parlant à des objets. Une chandelle filiforme, une horloge grassouillette et une théière maternelle ? Presque : une chimère filiforme, une gargouille grassouillette et une grand-mère gargouille. Chez Disney, le vide n’existe pas et toute solitude donne naissance à de nouvelles existences qui s’animent et remplissent l’espace (objets, animaux…). La beauté de l’âme cachée dans la laideur : l’enjeu était similaire dans La Belle et la Bête. Petit conseil : regardez-les deux films les uns après les autres, vous serez saisis par l’importance des ressemblances. Ces proximités s’expliquent par le fait que ce sont Gary Trousdale et Kirk Wise qui réalisent les deux films. Les personnages sont des « types » que l’on retrouve souvent dans la galaxie Disney. Globalement, les structures des films sont aussi souvent les mêmes.
Le travail de calibrage du roman pour le faire entrer dans le standard Disney s’opère aussi pour Notre-Dame. La cathédrale joue le rôle du château tel qu’il en existe des dizaines dans le répertoire Disney. La Belle et la Bête montrait déjà un château, dès le premier plan du film, celui-là même qui succède à celui du logo de la firme. Le Bossu de Notre Dame reproduit le même geste avec la cathédrale. Amusez-vous d’ailleurs à observer les premiers plans des films Disney ! Combien s’ouvrent par des châteaux ? Pour Quasimodo, c’est une prison dorée dont il connaît chaque recoin, dans laquelle il exprime sa créativité. Son père adoptif lui martèle que l’extérieur est dangereux pour lui. Malgré tout, pris par l’ennui, Quasimodo est tenté d’en sortir. La princesse Raiponce n’a pas un destin si différent…
Pourtant, Notre-Dame est un peu plus qu’un simple château estampillé Disney. Politique et religieuse, elle est dotée d’une puissance sacrée qui dépasse les personnages et enveloppe tout le film. Elle permet le droit d’asile et intimide Frollo. Dans le prologue, les statues des saints et des rois filmées en contre plongée au son d’un chœur religieux empêchent ce juge de commettre un crime. La chanson du narrateur dit alors : « Et Frollo sentit son pouvoir glisser dans les flammes. De l’enfer qui menaçait sa puissance et son âme ». L’homme est encore habité par une bonté. Notre-Dame, temple du paradis et du bien, repousse les basses actions du juge. Progressivement, Frollo devient une créature démoniaque. Sa haine contre les gitans et son amour inavoué pour Esmeralda le consument. Fort logiquement, le feu deviendra son attribut et son château sera l’opposé de la divine cathédrale. Possédé intégralement par le mal, la déférence pour Notre-Dame ne tient plus. Il ne respecte plus le droit d’asile et tente même de l’incendier. Cette dernière ne se laisse pas faire : une gargouille démoniaque emporte finalement Frollo dans les flammes de l’enfer. Le premier plan du film l’illustrait déjà : au-dessus des nuages et touchée par la grâce du soleil, elle est le temple du paradis.
Jamais un film d’animation n’a reproduit avec autant de fidélité Notre-Dame. Les détails sont précis, ce qui est d’autant plus impressionnant que l’extérieur et l’intérieur sont représentés. Disney ouvre les portes de la cathédrale, de la nef jusqu’à la charpente en bois. Malgré sa volonté de la modeler selon ses exigences, Disney sublime Notre-Dame en respectant l’architecture, en l’érigeant comme le château le plus puissant de sa galaxie. Le caractère sacré qui lui a été donné se révèle d’autant plus troublant après l’incendie du 15 avril. L’image de la statuette d’Esmeralda enflammée sur l’une des poutres de la charpente en bois (3) et le feu qui s’empare de la cathédrale sous les yeux médusés des parisiens amènent une nouvelle puissance à Notre-Dame : celle de transcender la fiction et le réel.
Bonus :
AVRIL ET LE MONDE TRUQUE, 2014, Franck Ekinci, Christian Desmares, Studios Je suis bien content
Dans Avril et le monde truqué, les tours de Notre-Dame sont utilisées comme des poteaux qui permettent au téléphérique Paris-Berlin de circuler. Dans ce monde sans savant ni intelligence, les œuvres d’arts ne sont réduites qu’à des éléments fonctionnels. La Tour Eiffel et sa jumelle ne sont que des gares et l’opéra de Paris n’est qu’une usine à charbon (1). Dans ce contexte, la cathédrale a perdu tout son caractère majestueux. Elle n’est qu’un arrière-plan qui laisse les parisiens écervelés biens indifférents.
ZARAFA, 2012, Jean-Christophe Lie, Remy Bezançon, Studios Primea Linea
Perdus à Paris, les jeunes Maki et Soula, héros du film Zarafa, cherchent le ballon dirigeable qui leur permettra de rentrer chez eux. En montant sur le toit de l’éléphant géant de la Bastille (dont la construction ne sera jamais achevée), Maki aperçoit son ballon. Non loin, les deux tours de la cathédrale se détachent et dépassent les autres toitures. Discrètement, Notre-Dame s’imprègne du sentiment de liberté qui anime les enfants. Plus loin dans le film, lorsque le ballon décolle une première fois avec les enfants à bord, il survole Notre-Dame et la cloche qui sonne marque autant le nouveau départ qu’un glas funeste (1). Les chimères observent l’engin dans le ciel avec peu de bienveillance et annoncent un malheur. De fait, une tragédie va advenir : Hassan se fait tirer dessus. Le ballon redécolle enfin pour retourner en Afrique. Il survole l’ile Saint-Louis et à nouveau la cathédrale (2). Sans glas ni gargouille, cette fois. Le prix de la liberté aura été cher payé et Notre-Dame, dans son imposante présence, ne semblait pas surprise !
Par Alexandre LELOUP